Surmenage des psychologues universitaires : rencontres avec trois spécialistes

Le rapport de Nightline France : tout comprendre sur les ETPT de psychologues universitaires
Nightline France s’intéresse aux ETPT de psychologues universitaires. Cet Équivalent Temps Plein Travaillé est une mesure qui permet de prendre en compte la charge de travail des psychologues universitaires, et non uniquement leur nombre. En effet, compter les effectifs n’est pas suffisant, dans la mesure où bon nombre de professionnel·le·s ne travaillent pas 35 heures par semaine. Or, si un·e psychologue travaille à mi-temps, il ou elle ne pourra de toute évidence pas recevoir autant d’étudiant·e·s en une semaine qu’un·e collègue à temps plein. On compte ainsi qu’un·e professionnel·le travaillant aux 35 heures correspond à un ETPT, que quelqu’un à mi-temps revient à 0,5 ETPT, etc.
Or, les recherches de Nightline France ont montré qu’il existe en France 1 ETPT de psychologue universitaire pour près de 30 000 étudiant·e·s. C’est beaucoup trop peu, alors que les normes internationales pointent plutôt vers un nombre idéal d’un pour 1 000 à 1 500 étudiant·e·s. C’est pourquoi nous avons choisi d’interpeller le gouvernement au travers d’un rapport soutenu par la Conférence des Présidents d’Universités.
Le docteur Caroline Combes nous explique les effets de ce manque de psychologues universitaires
Au sein de l’Université Lyon 1, où le Dr. Combes exerce son métier de médecin directrice du service de santé universitaire, on dénombre ainsi 2,5 ETPT de psychologues universitaires pour 47 000 étudiant·e·s, soit 1 ETPT pour 18 800 patient·e·s potentiel·le·s. Le délai entre la prise de contact et le premier rendez-vous peut ainsi atteindre plus d’un mois. Pour les étudiant·e·s, ce temps est bien trop long et peut mettre en péril leur réussite scolaire et leur bien-être en général.
Sur le campus de Lyon 1, les psychologues, qui occupent des postes d’assistant·e·s ingénieur·e·s, sont rémunéré·e·s à hauteur de 1 586€ net par mois. Un salaire qui ne reflète ni leurs compétences, ni leur niveau de diplôme. En cause : la non reconnaissance du métier par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, à l’inverse de celui de psychologue scolaire, par exemple.
Enfin, les bureaux où sont reçu·e·s les étudiant·e·s sont équipés par les professionnel·le·s en personne, ce qui est théoriquement interdit. Ces exemples montrent à eux-seuls l’urgence de revaloriser le métier de psychologue universitaire en France.
Revaloriser le métier de psychologue universitaire pour un meilleur accompagnement des étudiant·e·s
En effet, donner plus de moyens aux services de santé universitaire permettrait de mieux prendre en charge les étudiant·e·s qui en ont besoin. Une prise en charge qui pourrait probablement éviter des drames au sein d’une population bien souvent précaire et à une période charnière de leur vie.
C’est pourquoi, comme elle l’explique dans son interview accordé à Nightline France, le docteur Caroline Combes attend de l’Etat des mesures fortes pour les structures universitaires destinées aux étudiant·e·s. Création de statuts pour les professionnel·le·s de santé exerçant sur les campus et revalorisation des salaires sont les deux principales mesures préconisées.
Dans son rapport, Nightline France développe d’autres recommandations. Si vous êtes intéressé·e par cette action en faveur de la santé mentale étudiante et que vous souhaitez en savoir plus, vous pouvez consulter notre rapport en cliquant ici. Si vous souhaitez nous aider à faire entendre la voix des étudiant·e·s, n’hésitez pas à le partager et à en parler autour de vous.
L’importance de mettre en place une politique de santé mentale pour accompagner la population étudiante
Laurent Gerbaud, Professeur de santé publique au CHU de Clermont-Ferrand, médecin-directeur du SSU de l’Université Clermont Auvergne et chef du pôle Santé Handicap Etudiants de cet établissement, a également accepté de répondre à nos questions. Dans son service, on compte 1,5 ETPT de psychologues universitaires. Pourtant, il le constate : il existe un réel besoin de consultation pour les étudiant·e·s, et les délais sont trop longs. A ses yeux, un délai supérieur à 15 jours est “déraisonnable”. D’autant plus lors des deux moments charnière que sont l’arrivée à l’université, en particulier quand celle-ci est synonyme d’éloignement du domicile familial, et la fin des années d’études. Par ailleurs, les psychologues de l’Université Clermont Auvergne ont pu constater cette année les effets de la pandémie de Covid-19, avec une augmentation du nombre de tentatives de suicide.
Autre problème souligné dans cet interview : l’université manque également de locaux pour accueillir les étudiant·e·s en consultations. En effet, s’il est possible d’embaucher plus de psychologues, encore faut-il qu’ils et elles disposent de locaux adaptés pour pouvoir prendre en charge les étudiant·e·s de manière déstigmatisante. Parmi les mesures recommandées par Nightline France dans son rapport figure ainsi la création d’un fonds dédié à l’aménagement d’espaces d’accueil et de consultation au sein des SSU.
C’est pourquoi le Pr. Laurent Gerbaud appelle à la mise en place d’une réelle politique de santé mentale à destination des étudiant·e·s, afin de concrétiser la sensibilité déjà existante. Cette politique passerait avant tout par le recensement des structures mises à disposition des étudiant·e·s, et par une analyse de leurs moyens de coordination. A terme, l’idée serait de pouvoir orienter les étudiant·e·s en difficulté vers le soutien dont ils et elles ont besoin.
Les étudiant·e·s, un public qui nécessite une attention particulière
Raphaël Costambeys-Kempczynski, Délégué général Alliance Sorbonne Paris Cité et coordinateur du réseau des Vice-Présidentes Vie universitaire, nous a lui aussi apporté son éclairage en tant qu’enseignant. De son point de vue, les étudiant·e·s doivent recevoir une attention particulière, dans la mesure où les années d’études sont souvent le moment où vont s’exprimer pour la première fois des signes de pathologie mentale.
Pourtant, il n’est pas toujours simple pour les étudiant·e·s de parler des difficultés qu’ils et elles peuvent être amené·e·s à rencontrer. C’est pourquoi il apparaît essentiel de déstigmatiser les sujets liés à la santé mentale, afin de libérer la parole de tou·te·s et ainsi de permettre à celles et ceux qui en ont besoin de trouver le soutien le plus adapté à leur situation.
En ce sens, le corps enseignant occupe une place d’acteur privilégié dans le repérage de situations nécessitant un accompagnement. En parlant avec les étudiant·e·s, les enseignant·e·s peuvent dresser des constats, et une relation de confiance peut ensuite leur permettre d’aiguiller leurs interlocuteur·rice·s vers les bonnes structures.
Raphaël Costambeys-Kempczynski précise enfin que, si la crise sanitaire a mis l’accent sur ces situations, notamment en favorisant l’isolement qui est un facteur de risque psychologique, les difficultés rencontrées par les étudiant·e·s datent de bien avant la pandémie et ne cesseront pas avec elle. C’est pourquoi il est particulièrement important aujourd’hui de prendre les choses en main et d’agir pour une meilleure prise en charge de la souffrance psychologique étudiante.