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Temps de lecture : 7 min.

Bien vivre ses années en classes préparatoires

Depuis deux ans, Nightline mène des actions de prévention en classes préparatoires afin d’améliorer la santé mentale des préparationnaires qui sont souvent sujet·te·s à du stress lié au niveau d’exigence des concours pour les grandes écoles.

Entretien avec Eléonore Jarrige, psychologue et docteure en psychologie chargée du projet CPGE chez Nightline.
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Photo d'Eléonore
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Eléonore Jarrige, psychologue et docteure en psychologie chargée du projet CPGE chez Nightline

Marion : Pourquoi c’est important selon toi d’intervenir auprès des étudiant·e·s en CPGE en particulier ?

Eléonore : Parmi nos étudiant·e·s bénévoles chez Nightline, certain·e·s étant passé·e·s par les classes préparatoires ont pu nous dire à quel point cette période de leurs études a pu être ardue, à la fois pour elles·eux, mais aussi pour leurs camarades de classe.  Ils·elles témoignent de difficultés en termes de gestion du stress, de pression à la réussite, de difficultés de sommeil, de déprime plus ou moins passagère, et du tabou qui persiste quand il s’agit de dire que l’on va mal et qu’on cherche de l’aide. Ces expériences vont tout à fait dans le sens de résultats d’études et d'enquêtes qui montrent que les étudiant·e·s de classes préparatoires présentent des risques de développer des difficultés de santé mentale, notamment des troubles anxieux, de sommeil et des épisodes dépressifs (Keller, Mauras & Marcel, 2020 ; Morvan et al., 2016)*.

Pour nous, il est donc important de développer des actions spécifiques pour ces étudiant·e·s qui se sentent parfois un peu à part du système de soin universitaire, étant affilié·e·s à des lycées. Ils·elles ne connaissent d’ailleurs pas nécessairement l’existence des services de santé universitaire par manque d’accès à l’information. Enfin, un enjeu spécifique à ces étudiant·e·s est également celui de l’injonction à “ne pas perdre de temps” et au fait que présenter des difficultés de santé mentale est souvent associé à une forme de faiblesse qu’il est conseillé de ne pas laisser paraître dans le cadre de la course à la réussite académique.

Notre objectif avec ces interventions en classes préparatoires est donc de permettre une meilleure égalité des chances entre les étudiant·e·s en termes d’accessibilité au soin et à la prise en charge de leur santé mentale. Pour les enseignant·e·s, nous souhaitons leur donner les clés pour permettre de mieux accompagner leurs étudiant·e·s et promouvoir une meilleure santé mentale.

Je pense qu’encourager une culture de bienveillance et d’entraide et changer les représentations sur le fait de demander de l’aide est un réel enjeu pour ces préparationnaires que nous souhaitons armer à la fois pour leurs années prépa, mais au-delà, pour la suite de leur parcours d’études et de leur vie de jeunes adultes en construction.


Marion : Combien d’interventions as-tu pu mener durant l’année universitaire 2021-2022 ?

Eléonore :  Pour l’année universitaire 2021-2022, 14 interventions de prévention en santé mentale ont permis de toucher 1 144 étudiant·es de prépa dans les lycées parisiens Chaptal, Raspail et Jules-Ferry.

Les infirmières de 6 lycées ont pu participer aux groupes de parole infirmier et 26 professionnel·le·s ont suivi la formation sur la santé mentale des étudiant·e·s.

De plus, pour le lycée Chaptal qui a connu la genèse de ce projet, nous avons pu permettre la mise en place d’une permanence psychologique avec des professionnel·le·s du CMP Amsterdam (GHU de Paris) pour une meilleure accessibilité aux soins. Ce nouveau dispositif a rencontré un franc succès dès son lancement (5h de permanence assurées par semaine avec des psychologues et psychiatres).

 

Marion : Comment se déroulent tes interventions ? 

Eléonore : Les interventions se déroulent par classe, durant une heure de cours. On parle avec les étudiant·e·s de la santé mentale en générale, ensuite des difficultés que l’on peut rencontrer durant la prépa (sommeil, anxiété, dépression), puis de ce que l’on peut mettre en place au quotidien pour prendre soin de soi (avec des stratégies autour des émotions, des pensées et des comportements). Enfin, je leur présente des ressources vers lesquelles ils·elles peuvent se tourner si ça ne va pas à un moment (au sein de l’établissement, l’annuaire Mon Soutien Psy Gratuit, la ligne d’écoute de Nightline, le kit de vie). Durant toute l’intervention, je diffuse des messages audios d’ancien·ne·s étudiant·e·s de prépa qui partagent leur expérience pour appuyer mon propos. Cela fait pas mal d’info en une heure, mais on essaie de rendre tout cela le plus interactif possible !

Chaque étudiant·e reçoit également un livret regroupant toutes les informations délivrées pendant mon intervention.

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Citations d'anciens étudiants en prépa
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Retranscription de témoignages audios d'ancien·ne·s étudiant·e·s diffusés lors de l’intervention

Marion : Quels retours as-tu reçu sur ces interventions, de la part des étudiant·e·s et des professionnel·le·s ?

 

Eléonore : Pour toutes les interventions qu’on propose, une évaluation pensée par le pôle Recherche de Nightline est proposée et a permis de recueillir un certain nombre de retours qualitatifs et quantitatifs.

Pour les étudiant·e·s, les retours sont en grande majorité positifs , à la fois avec une note moyenne de satisfaction et d’utilité de l’intervention qui sont très élevées. On a aussi pu recueillir des commentaires pour faire évoluer l’intervention. Globalement, nous avons relevé que les étudiant·e·s sont content·e·s d’aborder le sujet de la santé mentale dans ce cadre. Ils·elles sont également heureux·ses de découvrir de nouvelles ressources jusque-là méconnues et de se sentir soutenu·e par une association qui met leur bien-être au cœur de ses préoccupations.

Pour les enseignant·e·s, le niveau de satisfaction est également très élevé. Ils·elles apprécient d’avoir un espace de parole pour poser leurs questions et d’échanger sur des situations parfois difficiles rencontrées dans leur travail, en lien avec la santé mentale de leurs étudiant·e·s. Souvent, les professeur·e·s qui participent à la formation sont déjà sensibilisé·e·s à la question de la santé mentale mais cela leur permet de discuter de leurs pratiques, d’être rassuré·e·s sur ce qu’ils·elles font et de se questionner sur leurs habitudes de travail afin de trouver des solutions alternatives. Cela leur permet également d’aborder librement la question du suicide qui est encore très tabou.

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Photo des livrets pour les étudiants
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Livrets distribués aux étudiant·e·s et au personnel

Marion : Tu proposes aussi des formations pour le personnel, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

Eléonore : Oui tout à fait. J’ai développé une formation pour les professeur·e·s de prépa (à laquelle les autres professionnel·le·s sont aussi convié·e·s) qui permet d’apprendre des techniques pédagogiques pour promouvoir une meilleure santé mentale des étudiant·e·s, d’identifier les signaux d'alerte qui montrent qu’un ou une étudiant·e ne va pas bien (comment aborder la question avec elle·lui, quelle posture adopter, vers qui l’orienter, maintenir le lien). On discute aussi de la question des idées suicidaires.

Nous soutenons aussi les infirmières scolaires de différents établissements parisiens en leur proposant des groupes de paroles sur la santé mentale des étudiant·e·s, qui leur permettent de parler des situations parfois compliquées qu’elles rencontrent et de se nourrir de leurs expériences respectives afin d’apporter un regard croisé sur leurs pratiques quotidiennes.


Marion : Comment le projet va-t-il évoluer l’année à venir  ?

Eléonore : Pour l’année à venir, nos objectifs sont de reproduire ces interventions dans nos lycées partenaires (Chaptal, Raspail, Jules-Ferry), et de trouver de nouveaux lycées partants pour les mettre en place (ce qui semble déjà être le cas pour cette rentrée 2022/2023, notamment avec le lycée Carnot). Nous aimerions aussi proposer cette intervention dans les autres villes où Nightline est implantée, en commençant par Lyon. Nous avons reçu le soutien d’un fonds de dotation en ce sens.

Nous avons aussi co-construit un nouveau projet avec des bénévoles de Nightline, qui devrait se mettre en place prochainement. On a organisé des ateliers super intéressants avec 6 bénévoles, et cela a permis de faire ressortir 4 grands projets de prévention par les pairs. On a pas encore décidé ce qui serait mis en place en priorité, on vous garde donc la surprise pour l’instant !

 

 

Bibliographie :

*Keller, J., Mauras, T., & Marcel, J. L. (2020, December). Création d’une consultation psychiatrique ouverte aux préparationnaires du 5e et du 6e arrondissement de Paris: retour d’activité sur l’année 2017–2018. In Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique. Elsevier Masson.


Morvan, Y., Coulange, I., Krebs, M. O., Boujut, E., & Romo, L. (2016). La santé psychique des étudiants. Les vies étudiantes. Tendances et inégalités, 213-234.

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Retours des professeur·e·s suite à l'intervention
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Retours des professeur·e·s suite à l'intervention
Rédacteur·rice : Marion Jacquin
Publié le 14/09/2022 à 16h04
Dernière mise à jour le 09/01/2023 à 14h30